Mon père m’a dit de me comporter en homme. Il ne m’a pas convaincu. Ma mère me dit : « Oh, mon Fifi! ». Mes frères, quelque soit leur âge, me traitent de tante et de folle, ainsi que leurs copains. Je suis en terre étrangère. Je me sens vraiment seule!
Ce n’est pas que j’aime les hommes. C’est que je suis femme, dans un corps comme le leur. Quelqu’un a fait une erreur! Ma grande sœur m’a dit hier : « Moi, j’ai de la chance. Je suis belle et je peux plaire. Toi, ma Fifi, tu n’as vraiment pas de bol! »
Je suis femme dans un corps d’homme. J’ai seize ans!
Une chenille verte, ça a un long corps, avec des pattes à l’arrière et des pattes à l’avant. Des pattes-arrière et des pattes-avant avec, entre les deux, un long tube élastique qui lui sert de corps.
Quand elle marche, ça se passe un peu comme ça :
Elle assure ses appuis sur ses pattes-arrière, lance en avant son avant et atterrit sur ses pattes de devant. Elle lance son derrière vers son avant. Elle écrase ses pattes de devant avec ses pattes de derrière. Elle s’engueule et se met des coups de pieds. Elle ne peut pas rester sur place, sinon elle va s’entre-tuer! Alors, elle envoie son avant en avant, d’un coup de pied au derrière. L’arrière est obligé de suivre. Elle ne peut plus s’arrêter!
C’est pour ça que les chenilles vertes mangent autant. Ce n’est pas qu’elles ont faim. C’est, qu’à être obligées d’avancer, elles doivent manger en marchant. Comme elles ne s’arrêtent jamais, elles n’arrêtent pas de manger! Et je ne te parle pas de la galère pour devenir papillon.
Je me suis encore perdu dans les bois. A un croisement, je suis tombé sur Morte-couille, le lutin d’autrefois. Lui ai demandé ma route, puisqu’il est du coin. Il n’avait pas changé d’un pouce, comme il se doit. Il portait, dans son petit sac à dos, un marteau, une andouille et une noix. Il doit porter l’andouille à son roi. La noix est son viatique pour au moins trois journées. Sans le marteau, petit comme il est, il ne pourrait pas manger! Il me parle des amis qu’il a rencontrés, Chapeau-Laideron et Rocon des bois. Ah non, pas encore ces deux-là!
Il me saoule avec ses logorrhées. J’apprends que Chapeau-Laideron s’est épanouie, femelle, auprès de Rocon des bois qui n’a plus rien d’un rebelle. Elle en oublie le loup, tant le dard de son Rocon chéri fait merveilles! Rocon joue l’ amoureux saoul et transi. La belle fournit l’angeline, nectar suprême. En prime, elle fait la vaisselle!
Morte-couille est las de l’entendre couiner, comme de marcher dans le dégueulis d’une cuite de la veille. Porter l’andouille au roi lui permet de s’ensauver. Il sort de la clairière, fait trois pas et le voilà à nouveau paumé!
C’est à ce moment-là que nous nous sommes rencontrés. Incapable de m’indiquer mon chemin, il me demande le sien!
Je le laisse là et m’en vais. Je ne cherche plus mon chemin. Je veux juste être loin!