Queue jusqu’à dehors, à la boulangerie. Mince! Un demi-pas, un autre, on n’avance pas. Une grande dame à chapeau, élégante, tient le devant de la scène. Elle veut ci; elle veut ça. Se ravise, recommence. Elle n’en a pas assez; elle en a trop. Pas de pain, de gâteaux! Un bref oeil à la queue qui s’allonge, elle dit: « Je me dépêche; il y a des gens qui attendent. » Mais elle reprend son numéro aussi lentement qu’avant. Les vendeuses, forcément aimables, ont l’air de souris fatiguées. Tellement ça me gonfle, je ne me retiens plus cette fois! Je lance un souffle au ciel. Je la vise clairement. Il y a de l’écho: on soupire devant; on soupire derrière. Chacun ne voit que le dos de l’autre; sinon ça râlerait. On est en pays prolo, ici. Quatre-vingt cinq euros, ça le fait. Voilà que j’écoute maintenant! Elle fait traîner encore: elle n’a pas sa carte bleue; propose un chèque. On tourne un film à notre insu ou quoi? Je vois arriver la suite. Bingo! Elle n’a pas son chéquier. Je me fais presque mal pour ne pas lui dire que le chéquier, c’est peut-être la bonne qui l’a volé. J’entends les « Bourgeoise! » qui émergent dans la tête des autres. Elle dit de lui garder, qu’elle repassera payer. Ses talons en s’éloignant ont un bruit claquant! Un demi-pas puis un autre, on continue vers la caisse et on attend, soldats! C’est mon tour. Le pain, c’est bon. Ah oui, quelques gâteaux, mais pas trop! Je me sens mal à l’aise; je trisse! Je ne croise que des visages fermés. Je remets mon chapeau en place. Mes bottes, sur les dalles, font un bruit d’enfer!
Je me suis dit, à froid, qu’elle ne faisait pas forcément exprès. Qu’elle avait ses propres contraintes. Je préfère la détester, quand même, pour le mauvais moment que j’ai passé. Mais c’est sûr, les prochaine fois, je me tais!
Vouloir un monde meilleur pour eux, pourquoi ne pas le comprendre ainsi : « Si on arrange notre monde à nous, ils auront le leur! »
Quel sera leur monde après nous? Le même, sauf qu’on y sera pas. Ils continueront, comme on l’a fait!
Ils lutteront comme ils peuvent. Ils le font déjà. On ne peut les protéger de rien!
Leur monde et le notre ne sont pas séparés par une frontière. Ils coexistent! C’est juste le temps qui s’agite et glisse clairement dans la mauvaise direction.
Le drame serait que les générations qui se succèdent aient à se battre côte à côte. Coude à coude et non plus chacune en son temps!
——————–
Ne pas le comprendre, c’est un peu comme vouloir les choses molles et le temps docile!
Le décor: une clairière tout au fond des bois, en des temps imaginaires.
Trois personnages: Chapeau-Laideron, Rocon des bois et le lutin Morte-couille. Trois artefacts: un fût d’angeline fraîche, une carte des lieux et une bourse bien garnie.
Chapeau-Laideron a la carte, Rocon a les sous et le lutin l’angeline.
Chapeau-Laideron a grandi. Délaissant la grand-mère, elle court après le loup, espérant lui plaire. Rocon des bois, héros aux temps héroïques, n’est plus maintenant qu’un Rocon alcoolique. Morte-Couille, lutin donc petit, a du mal à s’orienter. Il cherche un raccourci qu’il ne trouvera jamais.
Chapeau-Laideron veut les sous pour mieux se fagoter. Rocon des bois veut à boire; c’est pas compliqué. Morte-couille veut rentrer chez lui ou ailleurs; on ne le sait.
Il leur faut bien trois plombes pour échanger. Ils sont mous; ça me gave.
Rocon des bois boit et est bientôt bourré. Il fait du gringue à la gueuse qui commence à s’enfiévrer. Le nain de poche lit la carte mais ne peut pas la replier. Elle est plus grande que lui; il devra la laisser.
Ils sont nuls, nuls nuls! Je préfère arrêter. On ne peut pas faire une histoire avec des brêles pareilles. Je les laisse au fond des bois. J’espère que personne ne les trouvera!