Lettre à la Réa!



Bonjour, Madame, Monsieur,

Je suis ce fantôme que certains ont cru voir, au détour d’un couloir. N’ayez pas peur de moi. La trace que je laisse ne donne pas froid.

Confiné, je n’ai pour toutes armes qu’un téléphone, un stylo et un calepin. C’est frustrant, croyez-moi ! Et puis, j’ai un peu peur.

Je suis enfermé dans une boite, chez moi. Quand mes pensées arrivent à s’ensauver, je m’envole et je vais en Réa. L’ombre qui passe dans la chambre 3, c’est moi. Je viens en cachette. Là, je suis au plafond. Je vous regarde lire ma lettre. Vous vous demandez si vous n’allez pas arrêter de lire et la jeter. S’il vous plaît, non, n’en faîtes rien.

Vous avez, vraiment, une sale tête. Mais, vous êtes toujours là. Il fait bien gris à la fenêtre. Ce n’est pas normal, tout ça. Vous devriez être calfeutrés chez vous, à bercer votre petit gars. Mais, vous êtes là. A moitié morts de fatigue et de stress. Déboussolés, peut-être. Vous affrontez la réalité.
Même sous forme de fantôme, je fais un petit tour, je ne reste pas !

Je ne fais rien de mal ; je ne fais pas de mal. Raconter une histoire, tenir une main, dire les potins, aider à écrire une lettre. Et, surtout, poser mes mains.
Voir, alors, s’apaiser un rythme cardiaque sur le moniteur, se calmer une respiration aux bulles criminelles. Je l’ai déjà vécu en vrai ; pour vous dire que je ronge mon frein.

En espérant que vous pourrez rentrer chez vous demain, faire une pause, regarder par la fenêtre, respirer ce printemps dont nous sommes tous orphelins. En espérant que vos voisins ne viendront pas vous lyncher. En espérant que vous aurez quelques instants pour vous détendre, vous recentrer, avant de répondre à ce chien qui en rajoute et joue les abandonnés, à cet enfant qui veut vous squatter !

Je voudrais tant venir, tous les jours, à 8 heures, rester une petite heure puis repartir dans mon coin. Visiter le petit vieux de la chambre 7, apaiser l’angoisse du jeune de la chambre 9, boire un café avec l’infirmière de garde, discuter un moment avec cet ambulancier nouveau-né qui sort fumer sa cigarette parce qu’il a besoin de respirer. Moquer ce toubib qui en oublie de se peigner.

Je ne vis pas l’horreur du soignant, amputé de ses mains. N’avoir qu’un verre d’eau sucrée à donner, qu’une petite chansonnette pour rassurer, commencer à tousser, avancer en apnée… Que pouvez-vous répondre à ces bulles de poisson prisonnier qui vous désespèrent ?

Je ne veux pas vous dire : Bon courage, on est fier de vous, taper dans mes mains à 20 heures. Je veux être là-bas, avec vous, avec eux. Dans cet univers par trop réel et si incertain.

Appelez-moi, je viendrai. Soyez en certains.
Appelez-moi, je viendrai. Je vous le promets !


Si vous me voyez, un jour, frapper à l’entrée, c’est que comme vous, je suis encore là. C’est que, comme vous, je me bats. C’est que, comme vous, je ne lâche pas la main que je tiens.
Je voudrais que mes mots aient un effet, qu’ils vous donnent du chaud, qu’ils vous soient soutien !
Peut-être qu’un des miens est là-bas, dans vos bras. Alors, il est en de bonnes mains. De ça, je suis certain !

Je vous ai beaucoup parlé de moi. Parlez-moi de vous !

Je vais balancer cette lettre sur facebook, sur tweeter, ces réseaux des bas-fonds, pour que d’autres fantômes, aux ailes propres, qui y errent, se reconnaissent, se lèvent et accourent en soutien.

Je ne veux pas que vous combattiez seuls. Je vous dis : A demain !


Nathanaël.


Ps 1 : Je signe, Nathanaël. Ce n’est pas mon nom. C’est mon pseudo, mon nom de guerre.

Ps 2: Garduno en temps de paix, est-ce que ça parle à quelqu’un ?

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